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Après la sortie du film...

Être et Avoir

 

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1- article paru dans Politis du 21 novembre, n° 726, courrier des lecteurs

 

" J'ai vu Être et avoir, le dernier film de Nicolas Philibert. Quel dommage que ce film soit si beau ! Car il est beau : de belles images, de la poésie et beaucoup de pudeur pour toucher ce qui fait l'humain : apprendre, grandir, transmettre, quitter....

Mais quel dommage que les médias qui ont fait la promotion de ce film en soient restés à l'émotion. Quel dommage qu'ils n'aient même pas pointé un début de réflexion sur la vie des enfants à l'école, sur leur apprentissage de la vie.

Tout le monde a été à l'école et chacun croit donc savoir. Pour les journalistes aussi, il semble évident que c'est par la dictée qu'on apprend à écrire, par les réponses polies au maître qu'on apprend à parler, par une leçon de morale qu'on apprend à respecter l'autre. Que d'illusions !

Soixante-quinze ans après Freinet et les premiers journaux scolaires, pleins de la vie des enfants, imprimés à la main et échangés avec d'autres classes, cinquante ans après les mises en garde de Fernand Oury sur les dangers de la relation duelle, nous aurions pu entendre, lire ici ou là, un petit bémol, une mise au point du genre:" Attention ! Ne cédons pas à la nostalgie d'un passé bucolique ! On connaît les dégâts d'une classe où règne la parole unique : celle du maître."

Car il me semble que ce film escamote complètement les échanges culturels entre les enfants. Il ne montre pas que les enfants sont capables, s'ils sont guidés dans ce sens, de trouver eux-mêmes des solutions à leurs inévitables conflits, qu'ils sont capables de parler d'aide, de compassion, d'encouragement aux autres, qu'ils sont capables d'écrire leurs pensées, de confronter leurs questionnements, leur vision du monde.... Et que ces paroles les aident à se construire, à grandir. Que ce soit à la campagne ou à la ville, dans une classe unique ou à un seul cours.

Le maître de cette classe unique du Massif Central est humain, certes. D'ailleurs Nicolas Philibert a fait le film qu'il voulait, il l'a dit et c'est son droit. Mais notre société est-elle à ce point préhistorique sur le plan des relations humaines et de leur apprentissage, pour que leur absence dans le film n'ait pas sauté aux yeux des médias qui nous ont encouragés à aller le voir ? Personne ne s'offusque donc de ce que la parole des enfants, si sacrée dans d'autres contextes, soit à peu près inexistante ici ?

Il y a comme un problème... "

 

MB, ancienne institutrice de classe unique (courrier électronique)

 

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2- Réactions d'enseignants


--- 2a ---
[...] Je réagis à chaud... et j'en profite pour dire comment je me suis fait mon film...

J'ai tout entendu et lu sur Être et Avoir ... que les classes uniques, c'était nul comme niveau... que le maître était un tyran... ou que le maître était un affreux progressiste (méthode globale, ai-je lu...)... que "ah, ça m'a rappelé l'école de mon enfance"... ou qu'il y avait mépris du monde paysan... et d'autres choses encore...

Et donc, comme pour tous les films, peut-être encore plus pour celui-là, chacun voit midi à sa porte : le fossoyeur de la classe rurale, le ploum-ploum-pédago moderniste, le fétichiste de l'école de Jules Ferry, le nostalgique des familles, le militant plouquiste (ml)...

Et chacun dit le film qu'il a vu...

Et MB dit le film qu'elle a vu.

Sans doute a-t-elle, au regard de sa pratique, cherché la parole des enfants dans la classe et ne l'a-t-elle pas vue...

Si elle ne l'a pas vu, rien ne dit que cette parole n'existe pas. Philibert a filmé autre chose que la parole des enfants dans la classe... Philibert n'a pas fait le film pour MB...

Philibert n'a pas cherché non plus des enfants top-niveau de classe unique pour convaincre le fossoyeur de la classe unique, ni le super pédago sympa pour plaire au mouvement qui bouge, ni les blouses grises et les porte-plume pour rassurer l'archéomane, ni les tilleuls de la cour (un peu quand même, mais ce sont des sapins...), et il n'a pas cherché non plus le militant modèle de la Confédération Paysanne...

 

Il y a quatre ans, j'ai eu Philibert plusieurs fois au téléphone quand il cherchait la classe de son film... je me souviens très bien qu'il se méfiait alors des idées toutes faites sur l'éducation, des discours pédagogiques, des mouvements, des modèles, des a priori... il cherchait une classe et il cherchait QUELQU'UN...

J'ai lu depuis qu'il avait trouvé ce QUELQU'UN quand il a entendu sa voix...

Sa voix...

 

Donc, moi aussi j'ai vu le film comme si Philibert avait fait ce film

pour Moi-au-regard-de-ma-pratique-à-l'écoute-de-mes-envies, 

comme MB, comme chacun de vous.

Je me suis fait mon film... souffrez que je vous le raconte...

 

¯  J'ai vu un film sur un maître...

Tiens! Un maître...ça existe encore?... 

A l'iufm, ça n'existe plus... on parle d'adulte référent...

Tiens un maître!? ... ça existe encore?

Trente-quatre ans après avoir mis les cahiers au feu et les maîtres au milieu?

Dur réveil...

Un maître, comme nous sommes tous, malgré tout, plus ou moins honteux, plus ou moins avoué, plus ou moins clandestin... parce qu'on n'y échappe pas... parce que c'est notre seule façon d'être vrai avec des élèves... notre seule façon d'être adulte,

ou alors on se ment.

 

¯  J'ai vu un film sur Socrate

Parce que le maître de l'école ce n'est pas le Dominus (le propriétaire, le dominateur),

c'est le Magister,

c'est Socrate.

Formidable scène, la première plus belle du film : ce moment où Monsieur Lopez emmerde Jojo avec la suite des nombres... comme un accouchement difficile... comme une douce violence... comme l'impérieuse nécessité de sortir de son envie d'enfant vers le bouquin qu'on a envie de lire...

C'est Socrate...

et vous imaginez Socrate en adulte référent ou membre-d'une-équipe-pédagogique-dans-le-cadre-d'une-pédagogie-de-projet-adapté-aux-grands-défis-de-notre-temps ? 

 

¯  J'ai vu un film sur le métier.

Je dis métier, comme le canut aurait parlé de son métier...

Je dis métier comme un pied de nez au nouveau discours sur les "professionnels de l'éducation" (les techniciens?).

je dis l'art, les ruses, les façons... et la persuasion, la colère, le charme, l'humour, l'exigence, la patience, le théâtre... et la pose de la voix (ah! la voix de Mr Lopez), le corps, la position dans la classe, la disposition des meubles, l'utilisation des tableaux et des machines, l'organisation... 

Et si finalement tout cela ne serait que le dur, le fond de la pédagogie... tout ce qui reste quand on a gratté la couche idéologique...

J'ai vu un film sur le métier... et j'ai eu la glotte qui tremblait quand tout le monde partait (deuxième plus belle scène du film), parce qu'on ne pleure pas quand on est un maître.

 

¯  J'ai vu des enfants... non, ce n'est pas vrai... pas des enfants, mais des élèves...

c'est-à-dire des enfants dans une classe et donc des enfants avec un maître...

et pour bien montrer le passage, ce passage d'enfant à élève, ce cérémonial où l'on attend à côté du bureau le maître qui arrive comme au théâtre...

Qui dira que l'école n'est pas un autre lieu ?

Qui dira que l'école c'est la vie et rien d'autre ?

Qui dira que l'enfant ne doit pas sortir de l'enfance ?

Qui dira que l'enfant n'est pas un loup pour l'enfant et que le maître n'est pas la médiation indispensable, la régulation, la tempérance ?

J'ai vu des élèves qu'on aime, parce qu'on ne les prend pas pour des enfants.

 

¯  J'ai vu l'humanisme.

J'ai vu que la relation du maître à l'élève doit être une relation d'humanité.

J'ai vu l'humanisme, c'est à dire le savoir allié à la morale.

J'ai vu l'humanisme comme la seule chance (savoir et morale) d'échapper à la tyrannie, à l'obscurantisme, à la barbarie.

 

 

J'ai fait mon film.

Et vous ?

 

 

JP. A chaud, très chaud.

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--- 2b ---

Chacun se fait son film et se fait son Socrate et se fait son idéal et se fait sa vérité. Si c'était la même pour tous, on ne serait pas obligé... d'accepter celle de l'autre comme possible.

 

Être ou avoir n'est pas un documentaire, c'est un film. Un film qui veut volontairement toucher le sentiment. Philibert a toujours été honnête là-dessus. Il voulait faire un "beau" film qui touche. Rien n'a été filmé par surprise. Tout est scénarisé, même si le scénario s'est adapté à la réalité et s'en est inspiré, c'est ce qui lui donne sa force cinématographique. Le malheur c'est que c'est pris aussi comme un documentaire, ce qui arrange les uns et énerve les autres (dont moi bien sûr !). Il l'aurait fait ailleurs, ce ne sont pas les mêmes qui auraient été énervés ! En tous cas je suis de ceux qui pensent qu'il ne rend pas service à la cause des classes uniques, bien qu'il n'ait en aucune façon été fait pour ça.

BC

 

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--- 2c ---

Je suis allée voir ce film à sa sortie, avec une amie et sa fille (25 ans) dans un cinéma style art et essai, salle comble...

 

Je ne ferai pas de commentaires sur la beauté des images, l'émotion qui se dégage de ce film... les scènes humoristiques (Jojo, sa copine  et le photocopieur ou la résolution d'une multiplication le soir en famille ...) les médias s'en sont chargés !

 

Pour ma part, j'ai vu des moments de la vie d'une classe unique en Auvergne plutôt qu'un documentaire; et surtout pas un film pédagogique. On ne voit jamais la classe en son entier, ni son organisation ; et les activités retenues tournent essentiellement autour du français et des maths. C'est le choix du réalisateur pour ce film ... de 2h !

 

Personnellement, je ne me suis pas du tout retrouvée ni dans la pédagogie de l'instit , ni lorsqu'il est en relation duelle...

 

J'aurais aimé que le film nous fasse mieux connaître l'instit en dehors de sa classe, car notre pratique pédagogique est aussi le reflet de ce que nous sommes. Comment un instit consciencieux peut-il se retrouver "hors la loi" ? La loi d'orientation de 1989 , en vigueur au moment de la réalisation ne mettait-elle pas L'ENFANT au coeur du système éducatif ? et une des priorités n'était-elle pas la langue orale ? et le projet de classe, quel est-il ?

 

Mais surtout si les structures mises en place par le maître n'amènent pas les enfants à être davantage ouverts sur la vie, à échanger entre eux ...ou avec d'autres , à développer l'entraide et la responsabilité... n'est-ce pas parce que le maître lui-même n'a pas vécu de tels moments ? En a-t-il eu l'occasion ? a-t-il été amené à remettre en cause ses pratiques? a-t-il tout simplement eu de vrais échanges avec d'autres collègues ?

 

Si on voulait utiliser le cinéma pour faire connaître la réalité des classes uniques, il faudrait sûrement beaucoup, beaucoup d'autres films qui montreraient d'autres moments de vie filmés en classe unique! Celui-ci a le mérite d'exister et de provoquer des réactions...

 JB